mardi 31 janvier 2023
Traiter l'éreutophobie par l'hypnose - Article universitaire - ⓒ Jean-Luc Tourenne www.hypnose.com
Traiter par l’hypnose l’éreutophobie, cette peur de rougir, et par-là,le rougissement lui-même*
(article de recherche universitaire ⓒ 2021 Jean-Luc Tourenne)
Dans son ouvrage le « Moi-peau » Didier Anzieu, tout comme Freud auparavant, théorise la peau comme « la limite physique du monde psychique » (Anzieu, 1985). Il formalise ainsi l’idée de l’expression physiologique des émotions. A la suite de cette lecture, une partie de la dermatologie française orienta mieux les patients vers des pratiques non médicales. Ainsi, la psychothérapie entra dans le champ des maladies de peau et parmi elles : l’éreutophobie. Les causes de l’éreutophobie, cette peur obsédante de rougir, ne seraient donc pas uniquement d’ordre physiologique. Ce trouble anxieux qu’est l’angoisse de rougir et sa fréquente conséquence qu’est le rougissement du visage lui-même, sont des souffrances psychiques durables vécues par les éreutophobes comme un handicap. Les conséquences sociales de l’éreutophobie sont nombreuses : manque de confiance en soi, peur du regard des autres, auto-sabotage personnel ou professionnel et mènent souvent à des conduites d’évitement ou d’exclusion sociale. Selon certains auteurs, elle concernerait une population importante, puisqu’elle toucherait plus de 2% de la population générale. (Amies et Ginsburg, 2012).
Les réponses de la médecine conventionnelle sur l’éreutophobie sont toutefois considérées comme ponctuelles et non pérennes car essentiellement basées sur les bétabloquants ou les anxiolytiques. La solution chirurgicale de la sympathectomie est une possibilité controversée qui n’a pas fait ses preuves (HAS, 2007), non validée par la Haute Autorité de Santé et tend à disparaitre. A l’inverse, depuis Milton Erickson, les psychothérapies et notamment les thérapies cognitives, et essentiellement l’hypnothérapie, semblent proposer des solutions intéressantes sur l’éreutophobie ou d’autres symptômes liés à l’anxiété. Il apparait donc que les thérapies non allopathiques et non conventionnelles, comme les thérapies cognitives et l’hypnose, peuvent potentiellement solutionner ce type de problématiques liées aux troubles anxieux.
L’éreutophobie : un trouble anxieux particulier
L’éreutophobie se caractérise par une peur obsessionnelle de rougir en public. Elle s’accompagne presque systématiquement d’un épisode de rougissement du visage lors d’une prise de parole en public, quel que soit le nombre d’auditeurs et quel que soit le contexte, privé, social, bien que le plus souvent dans le domaine professionnel.
Déjà Claparède (1902), élève de Janet, et plus récemment de nombreux chercheurs comme Pelissolo et Remillieux (2012) définissent l’éreutophobie comme un trouble anxieux, une forme clinique de l’anxiété qui partage avec elle nombre de ses caractéristiques de souffrances et symptomatiques. Selon eux, ce trouble n’est ni un symptôme, ni un sous-type de l’anxiété sociale, mais il évolue dans sa sphère. Ils vont ainsi dans le sens du DSM-V américain (Manuel Diagnostique et Statistiques des troubles psychiques). La peur de rougir et le rougissement sont perçus comme la conséquence d’un manque de confiance en soi et d’une menace dans la sphère sociale ou professionnelle, ainsi pour Stein et Bouwer (1997) : « Il y a souvent une vision exagérée du statut inférieur de soi et du statut élevé des autres, et une surestimation de la menace sociale éventuelle. ». Les conséquences psychologiques vécues par l’éreutophobe sont aussi nombreuses que communes à l’anxiété sociale ou d’autres formes de troubles anxieux spécifiques : manque pathologique de confiance en soi, exclusion sociale, sabotage professionnel, angoisses, dépression, toxicomanie ou alcoolisme pour se sentir plus à l’aise, suicide etc… Dans le cadre de son travail sur l’éreutophobie le Dr. Valla (2015) fait état de 45% de dépressions majeures et de 15% de passages à l’acte suicidaire.
Bref historique de l’hypnose en psychothérapie
Bien que pratiquée de plus en plus régulièrement en médecine conventionnelle, comme en hypnoanalgésie (prise en charge de la douleur) ou hypnosédation (anesthésie), nous nous intéressons dans cet article à l’hypnose dans le cadre de la psychothérapie (hypnothérapie). L’hypnose chemine de longue date en parallèle avec la psychanalyse et la psychologie, car Charcot et Freud ont été parmi les premiers à l’initier en médecine moderne. Le psychiatre nord-américain Milton Erickson est considéré comme le fondateur de l’hypnose clinique ou de l’hypnothérapie, en postulant que, dans une thérapie mettant en jeu un thérapeute et un patient, ce dernier peut mobiliser des ressources internes pour amener conscient et inconscient à travailler de concert et provoquer les changements souhaités.
Hypnose : définition et protocole
La définition de l’hypnose est un état modifié de conscience où la vigilance de la personne se trouve altérée, sans que ce soit un état de sommeil. Dans cet état particulier où certaines zones du cerveau sont mobilisées inconsciemment par le sujet, celui-ci se voit présenter : « … une communication, avec une compréhension et des idées, pour lui permettre d’utiliser cette compréhension et ces idées à l’intérieur de son propre répertoire d’apprentissages » (Erickson, 1980).
Le protocole d’une séance d’hypnose peut se résumer ainsi : mise en « transe » (état particulier de profonde relaxation) du sujet par l’hypnothérapeute, suggestions et/ou visualisations et/ou dialogue, réveil post-hypnotique. Mais, mieux que décrire le menu détail d’une séance d’hypnothérapie, on comprend mieux ce qui se joue lors d’une séance dans les mots de Bioy (2005) : « L’élaboration demandée au patient n’est pas une élaboration intellectuelle, mais à partir de percepts corporels, avec en soubassements les liens entre psyché et soma. Si les perceptions du corps changent, évoluent, c’est aussi que consécutivement un travail psychique s’effectue… ».
Les neurosciences et l’hypnose
Depuis près de 30 ans grâce au développement de l’imagerie médicale, les neurosciences s’intéressent à l’hypnothérapie en évaluant le rôle de certaines zones du cerveau dans la pratique de l’hypnose et son efficacité. Spiegel et Hoeft (2012) de l’université de Stanford démontrent que chez les sujets fortement suggestibles et hypnotisables, « le cortex cingulaire antérieur dorsal et le cortex préfrontal dorsolatéral (DLPFC) fonctionnent en parallèle pour mobiliser simultanément l’attention, la concentration et le contrôle exécutif » (Hoeft et al, 2012). En découlerait, selon ces études, que l’hypnose augmenterait les connexions entre le DLPFC et l’insula, en facilitant, par exemple, lors de divers types de pensées dans un environnement donné, des réactions émotionnelles et physiologiques liées. L’hypnose serait donc potentiellement, sur la foi de ces premiers constats, une réponse efficace, totale ou partielle, à l’éreutophobie.
Quelques articles scientifiques commentés, pour aller plus loin…
Kirsch, I. Montgomery, G. Sapirstein, G. (1995) Hypnosis as an adjunct to cognitive-behavioral psychotherapy: a meta-analysis. J. Consult. Clin. Psychol, 1995, Vol.63, (2), p.214-220
Cette méta-analyse de 18 études démontre que 70% des personnes ayant bénéficié d’une double thérapie par TCC et hypnose ont vu le traitement de leur problématique amélioré par rapport au groupe n’ayant bénéficié que de séances de TCC. Cela confirme que l’hypnose potentialise fortement certaines psychothérapies. Aussi dans quelle mesure l’hypnose comme thérapie seule serait-elle efficace sur certains troubles ou symptômes observables physiquement ?
Stetter, F. Walter. et al. (1994). Ambulatory short-term therapy of anxiety patients with autogenic training and hypnosis. Results of treatment and 3 months follow-up. Psychother Psychosom Med Psychol, 1994, Vol.44, (7), p.226-34.
Est mis en évidence ici l’efficacité directe de l’hypnose sur l’anxiété. Ainsi en parallèle de l’étude du traitement par le Training Autogène de Schultz, considéré comme proche du traitement par l’hypnose, l’étude sur les sujets traités par la méthode de l’hypnothérapie conclue de l’effet positif de l’hypnose sur le trouble anxieux des 27 patients ayant participés et que « les mesures psychométriques, le niveau d'anxiété (STAI. Laux et al. 1981) et le vécu subjectif, les plaintes dues à l'anxiété ont été considérablement réduites dans les deux traitements de manière significative ». Après trois mois les résultats ont montré une réduction de l’anxiété à un niveau stable ou que cette réduction est devenue plus importante. La fréquence des crises avait elle-même décrue.
Provencal, S. Bond, S. Rizkallah, E. El-Baalbanki, G. (2018). Hypnosis for burn wound care pain and anxiety : A systematic review and meta-analysis. Burns, 2018, Vol.44, (8), p.1870-1881. DOI: 10.1016/j.burns.2018.04.017
Cette méta-analyse en dermatologie porte sur les souffrances de brulés graves et leur état d’anxiété. Elle met en évidence l’efficacité significative de l’hypnose dans les soins. Les chiffres sont encourageants pour qui étudie l’hypnose dans sa relation à la souffrance dermatologique et l’anxiété engendrée car ils révèlent d’importantes réductions avec des groupes de contrôle qui sont en moyenne de 8.90% sur des échelles de souffrance et de 21.78% sur des échelles d’anxiété.
Bibliographie
Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau. Dunod.
Amies, P. et Gelder, M. (1983). Social phobia : a comparative clinical study. Br.J Psychiatry, 1983, Vol.9, p.142-174. DOI 10.1192/bjp.142.2.174.
Bioy, A. (2005). Hypnose, psychothérapies et psychologie clinique. Perspectives Psy, 2005, Vol.44, p.346-354
Claparède, E. (1902). L’obsession de la rougeur. A propos d’un cas d’éreutophobie. Archive de psychologie de la Suisse Romande, 1902, p.307-334
Erickson, M. Rossi, E. (1980). L'intégrale des articles de Milton H. Erickson : De la nature de l'hypnose et de la suggestion, Irvington.
Ginsburg, G. Riddle, M. et Davis, M. (2007). Somatic symptoms in children and adolescents with anxiety disorders. Brown University Child & Adolescent Behavior Letter, 2007, Vol.23, p.3-4.
Hoef, F. Gabrieli, J. Whithfield-Gabrieli, S. et al. (2012). Functional Brain Basis of Hypnotizability. Arch Gen Psychiatry, 2012, (10), p.1064-1072. DOI: 10.1001/archgenpsychiatry.2011.2190
Kirsch, I. Montgomery, G. Sapirstein, G. (1995) Hypnosis as an adjunct to cognitive-behavioral
psychotherapy: a meta-analysis. J. Consult. Clin. Psychol, 1995, Vol.63, (2), p.214-220.
Pelissolo, A. Lobjoie, C. (2012). Résultats d’une thérapie comportementale et cognitive de groupe spécifique de l’éreutophobie. L’Encéphale, 2012, (38), p.345-350. DOI : 10.1016/j.encep.2012.01.011
Provencal, S. Bond, S. Rizkallah, E. El-Baalbanki, G. (2018). Hypnosis for burn wound care pain and anxiety : A systematic review and meta-analysis. Burns, 2018, Vol.44, (8), p.1870-1881. DOI: 10.1016/j.burns.2018.04.017
Spiegel, H. Spiegel, D. (2004). Trance and Treatment : Clinical Uses of Hypnosis. American Psychiatric Publishing.
Stein, D. et Bouwer, C. (1997). Blushing and social phobia neuroethological speculation. Medical hypotheses, 1997, Vol.49, (1), p.101-108. https://doi.org/10.1016/S0306-9877(97)90260-7
Stetter, F. Walter. Et al. (1994). Ambulatory short-term ther- apy of anxiety patients with autogenic training and hypnosis. Results of treatment and 3 months follow-up. Psychother Psychosom Med Psychol, 1994, Vol.44, (7), p.226-34.
Cet article est issu d’un travail universitaire © Jean-Luc Tourenne 2021 et ne peut être reproduit sans mention du lien de l’auteur et sans autorisation de l’auteur.